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Entretien entre Maître Jacques-Louis Colombani, avocat, et maître Dominique Valéra
Jacques-Louis COLOMBANI : Dominique Valéra m’a un jour interpellé sur le ton « quel est ton point de vue de technicien du droit sur la pratique des sports pieds-poings ? »
A priori à coté de Dominique VALERA, j’ai eu l’impression s’agissant des arts martiaux de parler piano avec Wolfgang Amadeus MOZART !
En matière de piano, on distingue ceux qui en jouent et ceux qui les portent… en matière d’arts martiaux, il en va de même.
L’intervention du droit consiste à porter d’une certaine façon les conséquences de l’art…
La question est donc restée au fil des réflexions entre celui qui incarne pour moi le « Docteur justice » des images d’enfant et l’avocat que je suis devenu…
Quel lien faire entre la valeur symbolique du grade (ceinture noire est le signe du « débutant sur la voie de la main ouverte », 10ème Dan le signe du retour au commencement…) et l’application du droit au comportement du combattant ?
Dominique n’est pas pressé pour avoir le 10ème Dan car il est souvent décerné à titre posthume…
Transmettre et apprendre à transmettre sont pour lui des préoccupations éthiques qui font corps avec l’art martial. Ces signes extérieurs d’aguerrissement que sont les couleurs peuvent être également considérés comme des signes de présence de l’esprit, de la raison au cœur de l’emploi de la force. L’intervention du droit de la responsabilité serait proportionnelle au degré de maîtrise présumé ? Un indice…?
Le point de vue du technicien du droit sur la pratique de sports de combat tels que le KARATE CONTACT ou le KRAV MAGA, la BOXE etc…
Pas si évident… réduire la question à l’unique notion de légitime défense reviendrait à la restreindre, et, ce n’est pas l’optique souhaitée par Dominique VALERA!
Pas question non plus d’aborder ici la doctrine de l’usage de la force en cas de guerre ou de crise, bien que… les limites à l’application de la force ne soient pas toujours clairement visibles. La soumission aux lois, l’attention portée aux prérogatives du grade ou de la fonction, l’écoute du « maître » ou le sentiment de ses devoirs, sont trois pierres angulaires de la conscience du combattant.
Dominique VALERA d’ajouter que tout le monde quel que soit le niveau a son Maître ou son Sempaï, sa référence technique et philosophique.
Première idée, si la loi hors du tapis proscrit d’une façon générale l’usage inconsidéré de la force, sur le plan sportif, les structures arbitrales et de recours ont notablement évolué si bien qu’il n’est plus nécessaire de se faire entendre avec des arguments frappants !
Dominique VALERA rajoute que l’histoire de LONG BEACH a fait couler beaucoup plus d’encre que de sang…On impose désormais un équipement de protection très important et la touche légère contrôlée n’est toujours pas autorisée… Cherchez l’erreur !
Certains pratiquants des sports collectifs peuvent encore soutenir le contraire, et bien que « cela ne nous regarde pas », la pratique doit respecter le code du sport qui est avant tout éthique.
Comme dans le film « Rasta Rocket » on peut imaginer qu’il existe de nombreuses instances, pas toujours très transparentes, composées de spécialistes et de techniciens qui peuvent donner leur chance aux sportifs méritants.
Plus sérieusement au plan international, la chambre arbitrale du sport, présidée en France par le Président de la conférence des conciliateurs du Comité National Olympique et Sportif Français peut intervenir.
Ceci posé, la législation sportive a explosé ces dernières années.
L’Union Européenne a produit un certain nombre de textes comme le Traité de Lisbonne et le Livre Blanc Européen sur le Sport qui encadrent la pratique du sport en général et se retrouvent dans le droit national.
En France, le cadre légal de l’organisation et de la promotion du sport est placé sous l’égide du ministère de la santé, de la jeunesse des sports et de la vie associative.
Le Code du sport est un cadre commun à l’ensemble des disciplines qui peut être utilement consulté par les cadres, et ceux qui souhaitent donner une dimension supplémentaire à leur pratique.
Les formations des cadres et les assurances obligatoires y sont décrites.
Seconde idée, pour en venir aux sports « pieds-poings », les clubs distribuent un règlement intérieur qui prescrit un équipement minimum, une attitude générale.
Même dans des disciplines qui ne sont pas « limitées » par la compétition, le code couleur des ceintures est parfois repris, qui permet la délivrance d’un message technique par l’enseignant.
Ce message technique évolue avec la maîtrise du geste.
Certains métiers impliquent de respecter une déontologie particulière dans l’usage de la contrainte ou de la force.
Enfin, la troisième borne est celle de la conscience du pratiquant.
Comme un candide enseignant, Dominique VALERA explique que l’initié aux sports de combat est un «technicien de la violence» pas un « barbare».
La violence est codifiée par des règles précises et un corps arbitral.
C’est la différence avec la bagarre de rue.
Toute une démarche qui confine à l’initiation et qui reflète un parcours, une synthèse personnelle, unique, racontée par David SALUCCI.
Pour rebondir sur la question du « KING », je proposerais deux autres questions qui impliquent l’examen des règles générales de la responsabilité civile et pénale en liaison avec l’usage de la force à l’intérieur et à l’extérieur du dojo.
- Vous pratiquez un art martial et vous vous êtes déjà demandé si vous risquiez des poursuites judiciaires civiles en cas de blessures causées à votre adversaire durant un combat ou hors du club?
- De même, vous vous interrogez sur la possibilité d’utiliser cette technique pour vous défendre, en dehors des combats et sur les conséquences pénales éventuelles d’un usage mal maîtrisé de la force?
Le principe de la responsabilité civile en cas de dommages causés à autrui : un aménagement pour la pratique sportive
1°) Le cadre général
La responsabilité civile, énoncée aux articles 1382 et suivants du Code civil, a pour objet de réparer les dommages causés à autrui par « tout fait quelconque de l’homme » qui serait imputable à une personne responsable directement ou indirectement.
La notion de faute est donc très largement comprise par le droit civil allant parfois jusqu’à une responsabilité quasi automatique.
En dehors du dojo, du club, le combattant est un homme ordinaire qui répondra de ses gestes comme les autres, sauf à ce que son statut ne règlemente encore l’usage de la force.
Le juge se montrera probablement plus exigeant envers une personne qui porte les signes extérieurs de la maîtrise : ceinture, brassard « sécurité » etc…
2°) Le cadre sportif
Dans le domaine des activités sportives, en se livrant en connaissance de cause à une activité génératrice d’aléas en particulier pour les incisives…, la notion d’acceptation des risques vient modérer l’application du droit de la responsabilité.
Par conséquent, la victime de coups portés, dans le cadre d’un combat à l’entrainement ou en compétition, ne peut, en principe pas engager la responsabilité de l’auteur des coups.
Cependant le combattant doit faire montre de maîtrise du geste, de discernement et de conscience.
Le non respect des règles particulières de la discipline (touche, assaut, semi contact, contact…) peut constituer un comportement fautif.
Il est important dans ce contexte de passer des visites médicales d’aptitude et de souscrire lorsqu’elle existe une police d’assurance qui viendra, le cas échéant soit indemniser le dommage subi, ou, a fortiori le dommage causé.
Tout cela est clairement indiqué dans le livret de la demande de licence des fédérations concernées.
3° Un même geste peut avoir des conséquences diverses
En manière de transition et à propos de l’impunité du geste, abordons la question de la réponse juridique à la violence.
Prenons l’exemple d’un atémi létal : dans un cas il n’aura que des conséquences civiles ou pas de conséquences, dans un autre il conduira son auteur devant un tribunal correctionnel, enfin dans une troisième hypothèse l’auteur sera jugé aux assises.
En effet, dans le cadre d’un combat ou d’un geste réflexe le coup mortel serait peut être considéré comme un accident.
Par ailleurs, la violence exercée sans intention criminelle peut relever d’une qualification délictuelle.
Par contre, une simple gifle donnée avec l’intention de tuer conduira son auteur devant un jury d’assises pour y répondre de son geste.
Réponse pénale à l’usage de la violence et notion de légitime défense
Ici les questions se bousculent et les premières réponses sont dans la conscience et le discernement du combattant.
Comment réagir face à une situation de danger pour soi-même, un parent, un ami… voire ses biens ?
Faut-il riposter et risquer de passer du statut d’agressé à celui d’agresseur ? Au contraire, faut-il rester passif, et prendre le risque d’être volé, violenté, ou pire encore, tué ?
Les questions abondent encore et parfois c’est un juge qui tranche !
Comment trouver l’équilibre entre la légitime défense, qui comme son nom l’indique est une réaction de « défense légitime », c'est-à-dire nécessaire, et justifiée par l’agression qu’il s’agit d’empêcher? Comment ne pas franchir la limite posée par la loi?
L’article 122-5 du Code pénal dispose : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».
Si la légitime défense est retenue par le Juge, l’infraction ne sera pas punie.
Il faudra donc prouver que le geste a été posé dans un cadre justifié par une défense légitime et prouver ses affirmations…
1°) Les conditions relatives à l’agression
L’acte violent visé par le texte peut être justifié tant par des atteintes aux personnes (meurtre, viol…) que par des atteintes aux biens (vol, dégradation…).
Pour autant, la conscience du pratiquant d’un art martial est mise à l’épreuve car sa réaction doit aller à l’encore d’une vraie agression.
L’agression doit en effet présenter trois caractéristiques :
•Il faut que l’agression soit réelle : elle ne doit pas exister uniquement dans l’esprit de celui qui se sent agressé…
•L’agression doit être actuelle ou imminente : il n’est pas possible de se défendre contre une agression future ou passée, la légitime défense n’est pas conciliable avec la « prévention » ou la vengeance.
•Enfin l’agression combattue doit être injuste au sens juridique : pas question par exemple de l’opposer par la violence à l’usage d’une force légitime…
2°) Les conditions relatives à la défense
En principe, toute agression commise en défense ou pour préserver un intérêt légitime peut être justifiée, qu’il s’agisse d’un crime, d’un délit ou d’une contravention et qu’il s’agisse d’une atteinte aux biens ou aux personnes.
Cependant, certaines défenses ne sont pas justifiées pour prendre une formule, il ne faut pas « écraser une souris avec un rouleau compresseur ».
Dans l’action, l’esprit du combattant, forgé au dojo, doit être d’autant plus clair qu’il est avancé dans l’apprentissage de l’art.
C’est pourquoi, la défense doit être au bout du compte:
•Nécessaire : la personne agressée ne doit pas avoir d’autre moyen d’éviter l’agression que de commettre une infraction dans le cas qui nous intéresse, de faire usage de son art... martial !
•Proportionnée : il ne doit pas y avoir disproportion entre les moyens employés pour se défendre et l’agression qu’il faut prévenir.
Le plus difficile étant, à postériori, d’apprécier la justesse d’une réaction.
Dominique VALERA ajoute que la réaction ne doit pas normalement engendrer un crescendo, mais stopper ou contrôler la situation.
3° Prouver la légitime défense : pas toujours évident…
En principe c’est à la personne qui prétend avoir agi en état de légitime défense de le prouver : il faut démontrer au juge que les conditions de l’attaque et de la riposte sont réunies.
Il faut que le juge puisse imaginer les rapports de force engagés à l’instant de l’action.
Il existe deux situations dans lesquelles la légitime défense n’a pas normalement à être prouvée par celui qui se défend :
•L’habitant d’un lieu qui agit pour repousser l’entrée par effraction, violence ou ruse dans son espace de vie est normalement sensé se trouver en état de légitime défense lorsqu’il s’oppose.
•De même celui qui intervient pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence est considéré avec une « certaine bienveillance ».
•Dans ces deux hypothèses, il reviendrait au Ministère Public épaulé par la partie civile de prouver qu’il n’a y a pas eu de légitime défense…Le droit pénal réagit donc à l’usage de la force, comme en matière de responsabilité civile, la réponse peut être modérée si l’usage de la force est raisonnable et légitime.
•« La raison qui maîtrise le geste… le discernement qui permet l’à propos » n’avez-vous pas entendu parler de cela dans votre salle ? Alors pourquoi être autrement en dehors du tapis?
•Il me semble que le pratiquant aguerri qui sortirait de l’éthique risque en plus de la décision de justice, une double, et peut être une triple sanction qui serait celles d’être mis à l’écart de son métier et hors du tatami par son club…
Porter une réponse juridique conforme à une application légitime de l’art martial, implique donc une maîtrise parfaite de soi comme une juste appréciation des situations. Pour conclure Dominique VALERA indique que les centimètres entre les deux oreilles sont les plus importants pour le discernement et l’analyse d’une situation conflictuelle.
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